Vous qui avez toujours voulu savoir ce qu’il se passe derrière la machine Season Of Mist, posez-vous tranquillement, prenez un rafraîchissement et préparez-vous pour la visite.
C’est au matin du 19 mai que je me suis rendue dans les locaux de Season Of Mist, au fin fond de Marseille, dans le 13ème arrondissement. Rendez-vous était donné tôt car le jeudi est le jour des sorties – mais pas que ! Dans ce label, c’est une fourmilière qui s’active chaque jour, et le temps est précieux.
Me voici donc dans ce lotissement rempli de bureaux, tout se ressemble mais je trouve rapidement mon chemin grâce à un plan détaillé à l’entrée. De l’extérieur, rien ne laisse transparaître ce que l’on va trouver derrière ces murs, à savoir le « paradis des metalleux ».
Season c’est une longue histoire, qui a commencé il y a 26 ans dans la cité Phocéenne. Un pari un peu fou dans une ville qui n’a pas vraiment de racine « metal ».
Il est maintenant temps de rentrer à l’intérieur et de retrouver David qui sera notre hôte du jour. Après de rapides présentations, il me fait découvrir les lieux. Une grande baie vitrée floquée « Season Of Mist » s’impose dans l’entrée. A la suite, des bureaux, une salle pour prendre les repas, la configuration habituelle de n’importe quelle entreprise.
Puis, à l’arrière, les choses sérieuses commencent. Nous arrivons dans le hangar qui reçoit régulièrement un bal de camions qui livrent et envoient ce qui se fait de mieux sur la scène extrême. Des rayons remplis de cartons, des commandes prêtes à être expédiées, et tout un chacun qui s’active en cette belle matinée de printemps.
A l’étage, d’autres bureaux des différents services, de nouveau des étagères à pertes de vue, remplies jusqu’au plafonds de CD, K7 et vinyles. Autant vous dire qu’en amatrice invétérée de musique, et en collectionneuse de vinyle, mon cœur est à deux doigts de sortir de ma poitrine et j’aurai presque envie de faire mon marché, là, sur place. Mais pas le temps de niaiser comme dirait nos cousins d’outre-Atlantique, nous voici maintenant installés dans la salle de réunion pour parler de l’histoire folle de ce label fièrement Français.
En parlant d’outre-Atlantique, il faut savoir que le label possède deux bureaux, le premier à Marseille, le deuxième aux États-Unis. A Philadelphie plus précisément. Pourquoi ce choix ? David nous l’expliquera un peu plus tard.
Commençons déjà par le commencement. David nous dresse l’Histoire derrière l’histoire : 
« Quand on a commencé, on était qu’un label. Michael, mon boss, a commencé à organiser des concerts sur Marseille en 1996. En 2000 on a signé Mayem en partant sur un festival en Hollande. J’étais avec lui d’ailleurs. Il m’a dit “Super, j’ai signé Mayem ! Par contre j’ai pas une thune pour les payer”. Donc il a vendu toute sa collection de vinyles, hypothéqué la maison de sa mère  et c’est parti comme ça ! »
Coup de poker, ça a fonctionné !
Michael (Michael Berberian) et David se connaissent depuis 1991. Je pourrais vous la faire longue, mais l’histoire est assez surprenante en elle-même pour ne pas avoir besoin d’être enjolivée. En un coup de fil entre les deux amis, l’aventure de la distribution a commencée :
« Un jour Michael m’appelle et  me dit “David j’ai envie de faire mon propre truc de distribution. J’en ai marre, je me fais avoir par mon distributeur actuel. J’ai envie de monter mon truc”. Je lui ai dit “Mais j’y connais rien”. Il m’a répondu “Moi non plus, mais faisons un essai”. J’étais sur Nice pour mes études, je suis redescendu sur Marseille. On a ouvert notre société de distribution et ça a marché tout de suite. Vraiment, ça a vraiment marché super ! »
David m’explique que par la suite, des labels étrangers ont commencé à les contacter pour qu’ils les distribuent dans les Fnac, Virgin, Leclerc, Cultura, Amazon. Bref : partout.
Les deux amis remarquent que les ventes en ligne explosent et décident de monter leur propre shop. Nouveau coup de génie, ils commencent à faire des éditions exclusives des groupes qu’ils distribuent et passent de quelques commandes par jour à des centaines de commandes.
« On s’est dit qu’il y avait des boites étrangères avec qui on ne bossait pas trop, car ils bossaient avec leurs propres distributeurs. Nous les avons contactés puis l’activité mailorder s’est développée, beaucoup avec l’Amérique du Sud, avec les pays de l’Est, avec les pays d’Asie. Ça s’est développé avec le temps, sur une vingtaine d’années on va dire. »
On l’aura compris, le tourbillon de la réussite était au rendez-vous. Mais qu’en est-il de la période “Covid” qui a ébranlé le monde de la culture ?
« Les “années Covid” on a eu un petit peu peur au début. On s’est dit “Merde, tous les magasins ferment. Ça va être un peu tendax.” Et pas du tout ! Les ventes en ligne ont explosé. Les gens se sont retrouvés avec de l’argent à ne pas savoir quoi en faire. On a eu des commandes qu’on n’avait jamais eu. Des particuliers qui claquent des 700 / 800 / 900 euros de disques, alors que le panier moyen est plutôt dans les 50 / 60 euros. »
Une explosion du montant du panier sur les deux dernières années. Mais également une progression au niveau des volumes de commandes.
« Je suis rentré dans la boite, pour te donner un ordre d’idée, il y a 19 ans et on était 4, maintenant on est 50. L’année dernière, sans mentir, je pense qu’on a dû faire +40% en une année. Donc il faudrait voir les chiffres compta mais tout explose. Après, tous les coûts explosent aussi. »
Le décor est planté et nous voici maintenant en train d’aborder la partie “internationale”. Bien que ce label ait été créé en France, il possède depuis maintenant quelques années un bureau aux Etats-Unis. Quant à Michael, il est parti depuis maintenant 3 – 4 ans en Hollande et s’occupe principalement du groupe Heilung.
Pourquoi un bureau aux Etats-Unis à l’heure de la mondialisation et du travail à distance ? La raison est simple et David me la donne :
« En fait, c’est tellement impossible de diriger tous les US à distance qu’il faut un bureau là-bas. C’est comme si c’était L’Europe en gros parce-que il y a 300 et quelques millions d’habitants. Il faut vraiment un bureau sur place. On est distribué là-bas par « The Orchard”. On a un gros partenariat en digital avec eux et ça marche très bien. » 
Après avoir arpenté les locaux marseillais, je comprends la nécessité d’un autre bureau, tant celui-ci semble déborder de toutes parts.
« On se retrouve à un point où on a carrément enlevé le bureau du boss (rires) ! Du coup on ne sait pas trop comment on va faire. Soit on prend un autre local pour stocker parce qu’on a un problème de stockage sur les progressions du vinyle. C’est à dire qu’avant les vinyles on faisait un pressage, on vendait tout et merci aurevoir. Maintenant on refait tout le temps le back catalogue de vinyle. Et quand on a deux Heilung, on a deux palettes d’Heilung. Quand on a trois Heilung, on a trois palettes. Quand on a quatre Heilung, on a quatre palettes, etc. Et ça marche avec tous nos groupes. C’est-à-dire que les Rotting Christ il faut une palette pour chaque albums. Enfin pour tous les groupes. Au début mon boss disait “Vas-y retourne des trucs chez les fournisseurs” mais c’est plus aux fournisseurs, c’est à nous donc… (rires). Il va falloir qu’on trouve de la place. Alors là c’est le grand dilemme : est-ce qu’il faut déménager autre part ? Est-ce qu’il faut trouver un autre entrepôt en plus ? On verra. Mais bon, on est plutôt optimistes. »
Côté chiffres, il y a également de quoi tourner de l’œil : 20 000 références dans le catalogue de distribution. 120 000 artistes enregistrés sur le shop avec plus de 55 000 références actives. Une centaine de sorties officielles par semaine. Une vraie usine !
Dans le lot, des artistes établis mais également des artistes de “niche”.
« Il y a des trucs en distribution française, on en prend 30 copies ! Pour la France en entier ! C’est complètement underground. C’est de la vente en ligne. On les mets dispo pour Amazon, dispo sur notre shop, en mail order mais on le pousse pas dans les magasins. On s’ouvre aussi de plus en plus. On a signé un gros partenariat avec “The Orchard” pour le physique. Donc on sort beaucoup d’artistes qui ne sont pas dans le metal. Là on a fait le dernier Jack White, on a fait un BTS, on a fait du Lynda Lemay. On a fait des trucs qui n’ont rien à voir mais c’est seulement pour la distribution en France. C’est bête mais ça fait du chiffre. Donc ça part un peu dans tous les sens (rires). »
Sur le shop, hormis les différents supports musicaux, un service de “print” à la demande est disponible. Une étagère entière de t-shirts de différentes couleurs trône d’ailleurs à côté de la salle de réunion, avec tout un tas de commandes prêtes à l’envoi.
« On s’est rendu compte qu’on avait à peu près 800 design de t-shirts à nous mais qu’on n’en avait pas en stock. On met les design dispo sur le shop et on les floque à la commande donc pas de problème de stock. Pas de stock, pas de perte et donc plein de modèles dispo. Par exemple, Watain nous a contactés et nous a dit “Je vous file tous mes design”. Maintenant il y a 80 designs de Watain. On fait ça avec plein de groupes. Au début on s’est dit qu’on allait faire ça avec nos groupes, puis après on s’est dit “Pourquoi on ne contacterait pas d’autres groupes ?” Du coup on a une commande de ‘print on demand’ qui explose. On a commencé par une imprimante, puis après on a pris une imprimante aux US. Puis on en a pris une deuxième ici. Puis on va en prendre une deuxième aux US et voilà (rires). »
Côté agenda, l’équipe de Season of Mist n’est pas en reste. Avec l’été qui arrive et la saison des festivals vient le temps de prendre la route. Cette année, ils seront présents au Hellfest (Clisson, France), au Summer Breeze (Allemagne), au Brutal Assault (Tchéquie), au Party.San (Allemagne) et également au Motocultor ( Saint-Nolff, France).
Au Hellfest, en plus de tenir leur stand à l’Extreme Market s’ajoute la confection de tout le merchandising des groupes qui jouent au festival. Deux mois de préparatifs pour être prêts le jour J et accueillir la foule des festivaliers.
Un travail “passion” pour lequel David ne compte plus ses heures. 
On en profite pour aborder “LE” sujet du moment dans le milieu de la production / distribution de disques : la pénurie du vinyle.
« On est en galère ! On est tellement en galère que notre fournisseur de vinyle qui est ‘Optimal Media’ en Allemagne, nous a écrit un jour en nous disant “Bon voilà, on a trop de demandes pour nos propres partenaires, notre propre boite, qu’on ne va pouvoir produire que nos propres productions donc merci de trouver une nouvelle usine” Et là t’es en galère et tu fais “Ah ouais merde” (rires) donc on bosse avec plusieurs usines maintenant. Les délais sont monstrueux parce-qu’on est déjà sur des productions qu’on balancera en 2023. On a pensé à prendre des parts dans d’autres usines, mais les machines mettent énormément de temps à être livrées. Si tout se passait super bien on aurait déjà dû livrer des machines pour les vinyles mais ça a pris du retard. 
Là on se pose des questions à faire des partenariats peut-être avec d’autres labels. C’est-à-dire d’acheter nos propres presses, peut-être s’unir avec d’autres distributeurs et labels, et se réserver nos créneaux pour presser quoi. Ça va sans doute aller mieux mais ça prend beaucoup de temps. On espère un retour à la normale fin d’année. 
Et puis après il faut que ça dure aussi. Moi je pense que ça va durer. Tout le monde pensait que c’était un effet de mode le vinyle mais ça ne fait que grimper. Même les ventes de CD ont réaugmenté l’an dernier. Les gens achètent encore de la musique mais n’achètent plus n’importe quoi. Ils veulent acheter, soutenir leurs groupes. Payer 20 balles un CD avec boîtier plastique, plus personne n’achète ça c’est fini. les gens n’en veulent plus. Pour 10 balles t’as un abonnement Spotify. Donc il faut des goodies, des trucs, une valeur ajoutée. Le vinyle en soit même c’est beau déjà. Tu fais des vinyles colors, splatters, en plus c’est toujours limité tu les veux (rires). Les box collectors, y a toujours un truc dedans, tu les veux. Le merch n’en parlons pas, tu le portes. Les goodies aussi. Mais le CD en lui-même, pour moi, il va disparaître. Le CD de base, il faut rajouter un bonus. Tu vois quand on a fait des bundles, on disait que l’on faisait un CD + Tshirt. Tu avais le t-shirt en bonus. Maintenant les bundles on les appellent plus comme ça, on les appelle “T-shirt + CD”, c’est le CD le bonus. C’est plus le t-shirt donc ça change. 
Puis les minots ils n’achètent pas de disques. Ou des vinyles. On le voit clairement, on fait des stats sur les ventes en ligne. Il y a toujours plein de collectionneurs de CD mais tu prends le mec qui bosse chez nous au retour, il a 20 piges, tu lui demandes combien il a acheté de CD dans sa vie, il te regarde “Des CD ? Mais pas besoin j’ai Spotify”. Enfin c’est, même moi, quand j’ai arrêté de fumer, j’étais pour acheter une bagnole, je voulais prendre l’option lecteur CD. Le vendeur m’a regardé en mode “Mais monsieur, vous avez un téléphone portable, vous le mettez en USB, vous n’avez pas besoin d’un lecteur CD”. Je lui ai dit que j’aimais bien mes CD et il m’a dit “Mais y a plus” (rires). J’étais contre le digital, j’ai pris un abonnement Spotify, je me suis dit que j’allais pas faire le vieux con et là j’étais comme un gamin qui ouvre un frigo, tu sais quand la lumière arrive et “Hooooooo, mais c’est génial !” Ça t’ouvre l’esprit, tu n’écoutes plus QUE du metal, tu découvres plein d’autres trucs. Tout le monde dit que ça tue le business mais pas du tout. On a des gros collectionneurs de vinyles dans la boite, ils dépensent plus d’argent depuis qu’ils ont Spotify. »
Après avoir abordés ensemble le côté ‘coulisses” d’un label, je ne peux m’empêcher de creuser plus en profondeur sur la partie humaine. Cette partie oh combien nécessaire. La bonne humeur ressentie en parcourant les locaux me fait me questionner sur la dynamique de cette équipe. Qu’en est-il de l’organisation interne ? D’où viennent ce bouillonnement d’idées ? David me parle des réunions ‘brainstorming’ :

« Avant c’était assez simple parce-que tous les jeudis et vendredis soirs, quand on était une dizaine dans la boite, on se faisait un resto et du coup tout le monde était un peu au courant de tout. Ensuite on s’est rendu compte que louer des restos à 50 c’était plus possible (rires).

Il y a tellement de gens qui tournent que ce n’est plus pareil. Les gens ont moins d’affinités, la boîte grossit. C’est peut-être le côté moins “famille” qu’avant mais du coup tu te rends compte que, quand tu as l’information, tout le monde ne l’a pas. Donc on a mis en place des réunions.

On le fait par pôles souvent et puis on en fait avec les chefs de pôles le plus souvent possible. Mais pour ne rien te cacher, c’est une machine à laver. Tu arrives le lundi, tu as tout. Le mardi, le jeudi, tu fais ça. T’arrives pas le vendredi et “bam” le week-end et coucou, on est relundi on enchaîne sur une autre tournée. Et là t’arrives et tu fais “Ah, le Hellfest c’est dans un mois mais hier c’était Nöel. Il y a eu deux ans de Covid ? Ah bon ! J’ai pas vu moi (rires). Donc ça va très vite. »


Dernière “indiscrétion” pour savoir si, justement, cette période “Covid” a changé leurs méthodes de travail.

« Alors oui, au début on a fait deux équipes, au cas où l’une des deux équipes était contaminée, puisqu’avant il fallait fermer. On s’est dit qu’on allait faire deux équipes qui ne se croisent pas. On arrive à 06h du mat on bosse 7h, 1h de pause. La femme de ménage passe, elle désinfecte tout. La deuxième équipe arrive et bosse 7 heures etc.

On a fait ça pendant pas mal de temps et après on s’est mis à élargir nos plages horaires. On s’est rendu compte que ça marchait beaucoup mieux.

Avant tout le monde avant les mêmes horaires : 09h – 17h. Et on s’est rendu compte qu’avoir une plage horaire entre 07h et 19h on a fait beaucoup plus de trucs. Ça a vraiment remotivé les équipes. Il y en a qui voulaient commencer plus tôt pour finir plus tôt l’après-midi donc c’est vachement mieux. 

D’autres qui étaient plutôt lèves tards etc. Et on s’est rendu compte qu’on était plus efficaces. 

Donc le covid a eu du bon (rires).

On est quand même contents que ce soit fini, que les concerts reprennent, que les festivals reprennent, que nos groupes reprennent. Parce-que, mine de rien, les groupes leurs seuls sources de revenus – même s’il y a nous, mais ça fait peut-être 10% de leurs revenus – c’est toutes les ventes en direct en concert qui rapportent. »

Mille mercis à David et à toute l’équipe de Season Of Mist pour le temps qu'ils m'ont accordé !
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